Il y a 21 ans, Jackie Chan a fondé sa première et unique école d’arts martiaux. Aujourd’hui, c’est sa faute si Phantom Blade 0 ressemble à un film

Si tu aimes les arts martiaux et le cinéma de kung-fu, plus d’une fois tu t’es sûrement surpris à essayer d’imiter (avec un succès probablement modeste) les combattants à l’écran de la télévision. Et c’est que, qui n’a jamais voulu être le héros de l’un de ces films ou jeux vidéo ? Qui n’a pas cherché à ressentir cette énorme satisfaction que donne la maîtrise d’un art physique ? Les jeux vidéo d’action, et c’est quelque chose qui s’est accru avec la normalisation de la VR, nous offrent un aperçu très proche et interactif de ce que c’est que de protagoniser l’une de ces histoires… mais ce n’est pas la seule façon dont le jeu vidéo actuel se relie aux arts martiaux. Il y a quelques jours, nous avons pu jouer à Phantom Blade Zero en Chine, l’un des titres les plus attendus de l’année.

Cependant, ce n’était pas la seule surprise que l’équipe de S-GAME nous réservait, puisque nous avons pu assister et participer à un tournage de capture de mouvements pour le jeu. Pendant quelques minutes, j’ai eu la chance de réaliser le rêve d’enfant de devenir un personnage de jeu vidéo ; ce fut une expérience que je n’oublierai jamais personnellement, mais qui, professionnellement, m’a permis de voir de première main ce que c’est que de travailler comme un spécialiste en capture de mouvements pour jeux vidéo. Et c’est aussi dur et amusant que vous pouvez l’imaginer.

Le studio de capture de mouvements de Phantom Blade Zero est situé à Shanghai, et son nom est Flying Goat. À l’entrée, on pouvait voir plusieurs certifications du lieu, l’une d’elles impliquant Jackie Chan, ce qui promettait déjà beaucoup en soi. Pour nous mettre dans l’ambiance, dès que nous sommes entrés dans la salle, nous avons pu voir les spécialistes travailler. Sous les directives du sympathique Maître Yang, nous avons assisté à l’interprétation et à l’organisation de plusieurs types d’acrobaties et de segments de combat de Phantom Blade Zero, ce qu’ils font pour le jeu depuis 2018.

Le contrôle du mouvement et de la position s’appliquait aussi bien aux costumes des spécialistes qu’aux armes, pour une représentation aussi précise que possible des mouvements. Il y avait un mur rempli d’armes de différents types (certaines d’entre elles, encore non révélées dans le jeu lui-même), toutes préparées pour la simulation de combat. L’équipe n’est pas seulement constituée des spécialistes qui prêtent leurs mouvements à la scène, mais aussi d’un groupe encore plus nombreux de collègues ayant différentes fonctions pour aménager la salle et assurer la sécurité : au moyen d’un système de cordes et de poulies qui recouvrait tout le plafond de l’installation, un groupe de collègues s’occupait de stabiliser avec leur contrepoids les manœuvres aériennes. Il y avait aussi des tapis et des caisses à placer à des points stratégiques, en fonction des chutes à amortir.

Bien sûr, rien de tout cela ne serait possible sans les techniciens chargés de traduire ce déploiement physique spectaculaire en animations pour le jeu vidéo. Pour l’anecdote, au moment de commencer à enregistrer les mouvements, il fallait configurer la capture de ceux-ci avec les spécialistes adoptant face aux caméras la classique position en T, que nous avons tant de fois vue dans les jeux vidéo, que ce soit pendant leur programmation ou à cause de bugs inattendus.

La répétition et les détails sont la clé du succès. De l’extérieur, il était incroyable de voir avec quelle précision les mouvements des artistes étaient transférés aux animations des personnages ; c’était particulièrement surprenant de voir comment, même en réalisant les coups et acrobaties à une vitesse normale, le programme les enregistrait parfaitement, y compris les points d’impact. Qui plus est, en posant la question au Maître Yang, il nous disait lui-même que la meilleure façon de capturer ces mouvements pour qu’ils paraissent naturels (l’une des obsessions principales de Phantom Blade Zero) était de les exécuter à la vitesse à laquelle ils voulaient qu’ils apparaissent dans le jeu, et non pas de l’augmenter ou la réduire artificiellement. Ce fait ajoute une couche de mérite aux incroyables mouvements et animations que nous avons vus dans la démo que nous avons testée : absolument toutes les attaques que nous voyons ont été réalisées au préalable par ces spécialistes. Un immense accomplissement pour respecter la vision de son réalisateur, Soulframe : un hommage sincère aux arts martiaux traditionnels chinois.

Pour nous imprégner de l’essence et de l’esprit du kung-fu, nous avons commencé une dynamique de groupe, dans laquelle les spécialistes eux-mêmes nous ont enseigné une routine basique de kung-fu, réunissant toutes ses postures de base. La posture et les détails des mouvements sont très importants dans les arts martiaux, car ils reflètent cet équilibre et cette philosophie si présents dans leur essence. La combinaison d’un mouvement fluide et harmonieux, mais à la fois énergique et puissant, reflète cette paix entre antagonistes, tout cela dans la recherche de l’harmonie interne et externe. Ces concepts, aussi attirants en théorie, démontraient leur difficulté en pratique : la mémorisation des mouvements, où chaque membre a une fonction très spécifique, ou l’exigence physique du maintien des postures dans des positions basses, ont été quelques-uns des aspects que nous avons bien compris en apprenant la routine.

Cette recherche de la beauté dans notre chorégraphie n’est qu’une infime partie de la perfection recherchée pour refléter cette scénographie dans Phantom Blade Zero. Ensuite, nous avons pu tester de première main ce que c’est que de se déplacer avec des câbles de spécialiste ; je me suis porté volontaire en premier, d’abord par inconscience, ensuite par professionnalisme, mais surtout parce que mon enfant intérieur criait d’émotion à l’idée d’imiter ne serait-ce qu’un peu une de ces acrobaties qui restent gravées dans notre mémoire.

La sécurité du processus est totale : plusieurs personnes installaient une ceinture avec plusieurs attaches, qui se connectaient à un complexe système de poulies, de contrepoids et de câbles qui enveloppent le plafond du complexe. Derrière ces câbles, il y avait aussi plusieurs spécialistes qui se coordonnaient avec notre mouvement, pour exercer la force au bon moment afin de me propulser dans les airs en toute sécurité ; tout cela sans prononcer un seul mot. Le niveau d’observation et de maîtrise de leur art qu’ils doivent avoir est très élevé, pour pouvoir se coordonner, sans même utiliser de mots ou de regards, avec les mouvements maladroits d’un néophyte.

En plus, à mes côtés, il y avait aussi plusieurs travailleurs, pour s’assurer que des paramètres comme le fait que mes jambes passent toujours à l’intérieur des câbles lors d’un salto arrière soient corrects. Au-delà de l’inconfort évident mais tout à fait supportable d’avoir une ceinture lombaire qui te serre, et plusieurs sangles autour de la zone pelvienne (ce qui te fait encore plus apprécier l’agilité de ces professionnels), ce qui surprend, c’est le travail d’équilibre du tronc que tu dois faire une fois en l’air pour maintenir une position un minimum digne. Si vous avez vu L’Attaque des Titans, cela rappelle un peu, à moindre échelle, la manière dont les cadets apprennent à équilibrer leurs corps avec le système de manœuvre tridimensionnelle ; le tronc part automatiquement vers l’avant, mais ton corps doit en plus gesticuler et effectuer des mouvements harmonieux d’arts martiaux. Sans aucun doute, si maîtriser les arts martiaux est un art en soi, le faire en tant que spécialiste l’élève à un nouveau niveau de dextérité.

Une fois que nous avons montré que nous savions à peu près comment bouger, on nous a proposé de tourner une scène comme spécialistes ; dans notre cas, nous avons pu incarner l’un des ennemis de base du jeu. Nous avons réalisé une chorégraphie à trois, avec le héros et deux ennemis échangeant des coups. S’il y a quelque chose que j’ai appris de cette intense expérience, c’est l’immense importance du travail d’acteur, à un niveau équivalent à la performance physique. La première étape fut d’apprendre les mouvements auprès des spécialistes ; pour cela, il est fondamental de bien calculer la distance à laquelle se placer entre les participants, pour que les coups atteignent là où ils doivent. Mais nous allions vite voir que ce travail allait bien au-delà de deux coups d’épée ; et c’est que le travail du spécialiste commence dès l’instant où tu te places face à ton partenaire.

"Jouer est un art de nature généreuse ; plus on donne, plus on reçoit de ses partenaires." Cela signifie que notre engagement envers le personnage que nous interprétons doit être total, même quand on dirait