Tabou brisé : les séries francophones se penchent enfin sur la santé mentale, et elles le font avec talent

La santé mentale a longtemps été un thème inexploré des séries francophones. Pendant que les mastodontes américains et britanniques disséquaient depuis des décennies la dépression, l’anxiété, le burn-out ou les traumas avec talent (BoJack Horseman, Euphoria, Skins, Fleabag), les créations françaises, belges ou québécoises restaient pour leur grande majorité dans une zone de confort narratif, préférant les intrigues policières ou sentimentales classiques.

Mais le vent a tourné. Et pas qu'un peu. Ces dernières années, une vague de séries audacieuses a fait irruption sur nos écrans. Et ça nous prouve une chose : le public était plus que prêt, il était demandeur. Ces fictions osent enfin aborder ce sujet sensible, non pas comme un ressort dramatique accessoire, mais comme le cœur du récit, avec une authenticité et une profondeur inédites.

La première étincelle majeure vient de l'audace de France TV Slash avec le chapitre 3 de la série française SKAM qui abordait les troubles bipolaires de l'un des personnages, Eliott, incarné par Maxence Danet-Fauvel. Mais c'est surtout en 2019 que la plateforme publique frappe fort avec Mental. La série, centrée sur le quotidien cru mais plein d'espoir de quatre adolescents hospitalisés en pédopsychiatrie, s'est imposée comme une pionnière. S'inspirant de témoignages réels, elle a montré sans filtre la vulnérabilité mais aussi la résilience d'une jeunesse souvent invisibilisée et caricaturée. Le succès critique et public de Mental a prouvé qu'une narration non édulcorée et dénuée de clichés était non seulement possible, mais nécessaire. C'était la preuve qu'on pouvait parler de troubles psychiques sans tomber dans le mélodrame.
Mentale est disponible (gratuitement) sur France TV Slash.

Le phénomène le plus retentissant reste cependant En thérapie. Lancée pendant la pandémie, la série d'Arte a explosé les records d'audience, transformant un concept a priori froid (chaque épisode se déroule dans le cabinet d’un psychothérapeute) en un rendez-vous incontournable. En filmant l'après-attentats du 13 novembre à Paris et les vies fracturées de ses patients, la série a fait un bien fou à de nombreux spectateurs. Portée par des performances magistrales (Reda Kateb, Mélanie Thierry, Carole Bouquet...), elle a démocratisé l’image de la thérapie en France. Une série qui a su déplacer l'invisible dans le salon de millions de foyers.
En thérapie est disponible sur Disney+.

Le mouvement n'est pas isolé et nous offre des pépites en dehors de nos frontières. La série québécoise Empathie, créée par l'immense talent de Florence Longpré, a été la dernière surprise à capter l'attention. Elle est le fruit de trois ans d'entretiens avec des professionnels de la santé mais aussi des patients. On y suit une ancienne criminologue devenue psychiatre, Suzanne Bien-Aimé, qui intègre l’Institut psychiatrique Mont-Royal. L'arrivée de Thomas Ngijol dans le rôle de Mortimer, un agent d’intervention bourru mais sensible, a créé un duo tranchant et attachant. Empathie est brillante, car elle navigue entre la complexité des patients, la tension entre collègues, et les propres failles des soignants. Son écriture mêle une grande sensibilité à des touches d’humour noir bienvenues, offrant un regard rare sur le milieu psychiatrique par ceux qui y travaillent. La série a été élue Prix du Public à Séries Mania en 2025.
Empathie est disponible sur Canal +.

Ailleurs au Québec, la série Fragile a également marqué les esprits en explorant les conséquences psychologiques d’un drame collectif sur une famille et une petite communauté. En Belgique, la série policière Unité 42 a su intégrer des intrigues annexes autour de la dépression et du stress post-traumatique chez ses enquêteurs. Un choix narratif qui montre que la fragilité psychologique n'est plus cantonnée à un genre spécialisé, mais qu'elle fait désormais partie intégrante de la richesse de toute narration, même au sein de polars.

Ces productions sont bien plus que de simples divertissements. Elles sont le reflet d'une prise de conscience sociétale. En abordant avec sincérité les blessures invisibles, les traumas et le chemin souvent tortueux vers la résilience, les séries francophones ne font pas que se moderniser. Elles offrent au public des outils de compréhension, elles réduisent la stigmatisation et, en montrant des professionnels dévoués et des patients complexes, elles humanisent un système souvent jugé à la va-vite. La fiction ouvre le débat, et c'est déjà énorme.

• En thérapie (Arte) : saluée par des psychologues et chercheurs pour sa capacité à démocratiser la thérapie, même si certains soulignent des libertés prises avec la réalité d'un cabinet. Jean Victor Blanc, médecin-psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine à Paris et auteur du livre Pop & psy confiait à Allociné : "La série a une visée pédagogique, on sent que le psychiatre est extrêmement bienveillant envers ses patients, ce qu'on ne voit pas toujours sur les films sur le sujet ou dans les séries où souvent c'est un détraqué ou quelqu'un qui manipule les personnes. (...) Ca peut être quelque chose qui va permettre aux gens d'aller consulter".
• Empathie (Canal+, Québec) : Geneviève Henault, psychiatre aux Hôpitaux Paris Est Val-de-Marne souligne "la prouesse réalisée par la série : partir d'un matériau clinique très juste – qui fera sans doute dire aux professionnels et usagers de la psychiatrie que « l'on s'y croirait » – pour en faire l’une des dimensions du fil narratif à la fois simple et terriblement complexe".
• Mental (France TV Slash) : Aude Caria, Directrice de Psycom, le site d'informations sur la santé mentale, a salué lors d'un débat qui a suivi la projection en avant-première une série qui, "enfin ne ressemble pas aux stéréotypes habituels".

Un dernier mot important : la fiction n'est pas un diagnostic

Ces séries offrent un éclairage précieux et encouragent la discussion, mais elles ne remplacent en aucun cas un avis ou un suivi médical. Si vous traversez une période difficile, n'hésitez jamais à consulter un professionnel de santé (médecin traitant, psychologue, psychiatre) ou à contacter une ligne d'écoute :

• Prévention du Suicide : 3114 (Numéro national, gratuit et confidentiel, 24/7)
• Écoute et Soutien : SOS Amitié au 09 72 39 40 50
• Trouver un psychologue conventionné : consultez la plateforme Santé.fr

Pour plus d’informations sur la semaine de la santé mentale, rendez-vous sur cette page.